La langue turque de l’ère göktürk |
|
- II est hors de doute que les monuments écrits des Göktürk
reflètent non pas la langue populaire, mais bien le turc
littéraire. Cependant il est peu probable que la langue du
peuple ait beaucoup différé de la langue littéraire. 1240 années
sont passées depuis que ce dialecte Göktürk fut employé pour la
rédaction des inscriptions de l’Orkhon. Et pourtant un Turc
cultivé, à condition de les lire très attentivement, en
comprendra aussitôt le sens général, même si le sens de certains
mots devait lui échapper. En revanche, le Serment de Strasbourg,
considéré comme le premier en date des textes français et qui
fut rédigé un siècle après ces inscriptions, présente à un
français d’aujourd’hui de grandes difficultés. Si, à partir des
inscriptions de l’Orkhon, nous remontons 1240 années en arrière,
nous nous trouvons reportés à l’an 500 av. J.-C., vers l’époque
de Mete. Nous pouvons alors, sans trop craindre de nous tromper,
hasarder le raisonnement suivant: Le changement subi par la
langue au cours de la période de 1240 ans antérieure aux
inscriptions ne saurait être aussi considérable que celui
qu’elle a subi depuis les Inscriptions jusqu’à nos jours
(Notons, par parenthèse, que Mete vivait non pas 500 ans mais
seulement 200 ans av. J.-C.). Nous sommes donc fondés à dire que
l’évolution de la langue, de Mete aux inscriptions à nos jours,
étant donné que l’adoption de l’Islam par les Turcs et leur
entrée dans la communauté musulmane, qui se placent dans cette
seconde période, ont entraîné dans la langue des changements
radicaux. Or il ne saurait être question de changements si
radicaux en ce qui concerne le premier millénaire de l’Histoire
turque. En admettant même que ces considérations ne dépassent
pas le cadre d’une hypothèse, elles n’en comportent pas moins
une importance extraordinaire au point de vue de l’histoire de
la pensée turque.
Le raisonnement ci-dessus nous conduit à la constatation
suivante: La théorie avancée par le Hongrois Németh et le
Finlandais Ramstedt, comme quoi, à lépoque des Huns, les langues
turque et mongole n’auraient formé qu’une seule langue,
laquelle, après les Huns, se serait scindée en deux dialectes,
cette divergence aboutissant enfin à la formation de deux
langues, doit être entièrement fausse. Car le turc parlé à
l’époque des Huns ne saurait avoir été complètement différent du
dialecte Göktürk; cela ressort logiquement du raisonnement que
nous venons d’esquisser. D’ailleurs il est admis aujord’hui que
les Turcs et les Mongols ne sont apparentés que par la culture,
une parenté de race entre ces deux peuples ne valant guère la
peine d’être revendiquée. Car enfin ils présentent d’éclatantes
différences dans la physionomie et le physique. Il est vrai
pourtant qu’ils ont dans beaucoup de régions mêlé leur sang,
participé à la même vie culturelle et souvent partagé le pouvoir
dans le cadre d’un même Etat.
A l’époque des Göktürk, on a vu un certain nombre de populations
mongoles et iraniennes se turquiser, c’est à dire qu’elles
délaissèrent leurs langues maternelles pour adopter le turc. Ce
phénomène a été le second grand facteur de la turquisation du
Turkestan. Cette contrée n’a donc pas été turquisée uniquement
par le refoulement des populations iraniennes en direction du
sud-ouest.
Un autre événement marquant l’ère des Göktürk fut le début du
passage des Turcs à la civilisation sédentaire. On croyait,
avant les récentes recherches archéologiques, que les Göktürk
avaient fondé un empire entièrement nomade. On se trompait: Les
fouilles ont exhumé un grand nombre de villes Göktürk. La
sédentarité fut complètement réalisée dans l’ère des Uygurs, qui
succédèrent aux Göktürk. D’ailleurs on trouve chez les
historiens arabes des remarques comme: “Les villes turques sont
nombreuses; dans la plupart on trouve en abondance des
commerçants, des marchandises, des marchés.”
|
|
|