HISTOIRE ABRÉGÉE
DE LA TURQUIE

 

Depuis les origines à l’avènement de la République

 

YILMAZ ÖZTUNA

 

DIRECTION GENERALE DE LA PRESSE ET DE L’INFORMATION

Pourquoi les Turcs ont-ils adopté l’Islam?

 
L’adoption de l’Islam par les Turcs est étroitement liée à cette situation. L’Islam, né en 610, franchit en 634 les frontières de l’Arabie, et, dès le premier quart du VIIIème s. s’était débordé sur les territoires compris entre l’Atlantique et l’Asie centrale. Entrés tôt en contact avec les musulmans, les Turcs étudièrent cette religion de près pendant environ un siècle et demi. Des centaines de mille Turcs se convertirent à l’Islam. Il y eut des Turcs qui, au service des califes Abbasides, s’élevèrent aux rangs de commandant en chef, de gouverneur et même de roi. A mesure que le Grand Hâkanat Turc soumis aux Karahanlý se déplaçait vers le sud-Ouest, le rapprochement s’accentuait.

Cependant la Transoxianie était devenue un pays complètement musulman. Les Iraniens, et les Turcs en nombre légèrement inférieur à celui des Iraniens, qui habitaient la région, étaient tous musulmans. Ce peuple était sujet de l’Etat samanide d’origine iranienne. Les nécessités géopolitiques imposaient la conquête de la Transoxianie sur les Samanides. Cette région avait appartenu au Grand Hâkanat Turc depuis les Huns jusqu’à l’effondrement des Göktürk. Or, depuis la conquête arabe, cette région importante et riche était passée au pouvoir des Iraniens. Il était absolument nécessaire de la leur reprendre. Les Turcs, bloqués en Extrême Orient par les Chiniois et les Mongols, se voyaient forcés à l’expansion vers le Proche-Orient. Mais pour s’adapter à la structure de la religion musulmane et accéder à la communauté de l’Islam, qui représentait la civilisation, la culture la plus haute du moyen-âge, il fallait être soi-même musulman. Il était absolument évident que non seulement la population iranienne, mais même les Turcs musulmans de Transoxianie s’opposeraient à leur incorporation dans le grand Hâkanat Turc naturaliste; en revanche un Hâkanat musulman pourrait facilement prendre possession de ce territoire déjà à moitié turquisé. Les Samanides une fois militairement vaincus, rien ne s’opposait plus à la soumission de la population à une autre dynastie musulmane. La conversion à l’Islam des Karahanlý, qui régnaient sur le Grand Hâkanat Turc, aurait pour résultat de livrer aux Turcs, comme un fruit mûr d’abord la Transoxianie et ensuite le Khorassan, c’est à dire les contrées très riches et populeuses qui s’étendent entre Moyen et Proche Orient. Les Hâkans turcs, doués qu’ils étaient de génie politique, ne pouvaient pas ne pas se rendre compte de la situation et profiter de l’occasion.

En dehors de cette motivation politique et géopolitique, la conversion des Turcs à l’Islam comportait aussi des raisons morales. Une partie de la population turque avait renoncé au naturalisme en faveur du manichéisme et du bouddhisme, certains autres Turcs avaient adopté d’autres religions et sectes. Or toutes ces religions s’étaient avérées en moins d’un siècle incompatibles avec l’esprit national des Turcs. Attirant la communauté turque vers les civilisations étrangères, lui faisant perdre ses qualités guerrières et conquérantes, ces religions avaient bouleversé les valeurs morales et déchaîné une crise profonde dans l’esprit des Turcs. La religion musulmane, en vertu de son côté pratique et de la valeur qu’elle attribue aux éléments moraux auxquels les Turcs étaient traditionellement attachés, était loin d’avoir ces défauts et ces inconvénients. L’adoption en masse, en toute liberté et en toute sincérité de la religion musulmane par les Turcs, et la rapidité avec laquelle ils se l’assimilèrent, les amenèrent au seuil de la phase la plus grandiose, la plus puissante de leur histoire.

Des quatre sectes sunnites, ce fut celle des Hanefî que les Turcs adoptèrent. C’était celle que professaient aussi les califes Abbaside de Bagdad. En dehors du caractère pratique et réaliste de l’Islam en général, la tolérance et la souplesse hanéfide qui distinguaient cette secte particulière avaient attiré les Turcs. C’était l’époque où les Chiites minaient partout dans une large mesure l’autorité des califes sunnites. La religion islamique et les Turcs se rendirent service mutuellement. Le rétablissement de l’autorité sunnite et le refoulement des Chiites dans les étroites limites où ils sont cantonnés aujourd’hui, sont l’œuvre des Turcs.

Le monde de l’Islam était las du désordre, ainsi que la faiblesse des califes. Il appelait de ses vœux la paix, l’ordre et la prospérité, que les Turcs devaient lui apporter. Cette situation n’avait pas échappé aux organisateurs habiles, aux profonds politiques qu’étaient les Hâkan turcs. Bref, toutes les circonstances étaient propices à l’instauration de l’hégémonie turque sur le monde de l’Islam.

C’est ainsi que fut jété le germe de l’empire mondial des Turcs. L’esprit d’initiative qui caractérise les Romains et les Anglo-saxons, leur aptitude à s’ouvrir, à organiser des pays nouveaux nous les retrouvons aussi chez les Turcs. Cet élément de leur caractère est conscient chez les Turcs. Il se reflète dans cette phrase de l’Oðuz Destaný (Epopée d’Oðuz): “qu’ils soient toujours en mouvement, qu’ils ne se fixent point.”

L’historien russe Barthold écrit: “Les conquêtes des Turcs, qui commencent surtout au Xème s., ont éveillé chez eux l’orgueil national. Cet orgueil les a servis même au XXème s.”

Cet ainsi que le Turkestan, dénommé à l’époque “Turan” fut presque entièrement islamisé sous les Karahanlý. Les Karahanlý avaient fait de l’expansion de l’Islam leur politique nationale. La civilisation et la culture islamiques acquirent un caractère universel. Cahun, un historien français écrit: “Si les turcs n’avaient pas eu le génie de l’action, les pensées iranienne et arabe n’auraient pas pu franchir leurs propres frontières, une civilisation asiatique na serait pas née.” Fârâbî, Hârezmî, Cevherî et les autres savants universellement connus de l’Islam qui élevèrent l’algèbre et la trigonométrie au rang de sciences et même compilèrent le meilleur dictionnaire arabe, qui firent faire de grands progrès à la philosophie, à la médecine, aux mathématiques, à l’astronomie et à la géographie, sont d’origine turque. La civilisation islamique, œuvre commune des Arabes, des Iraniens et des Turcs, a brillé pendant des siècles comme la plus haute civilisation du monde.